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Mis alegrías

Aquarelles sur carnet

Mis Alegrías (série sur carnet). Fragments couleurs en forme de médaillons réalisés à l'aquarelle sur carnet. La pratique du dessin se ramifie en différentes séries qui évoluent suivant leur propre rythme en marge de mes séries de peintures. Certaines expérimentations issues de mes carnets sont répétées de manière exhaustives sur des carnets spécifiques : scolaires Seyes, petits carreaux Rhodia, Hahnemühle, Leuchtturm1917 ou Moleskine. Chaque ramification forme un corpus d'œuvres solidaires au support et à l'outil de dessin, au grès des envies et du temps se développant à leur propre rythme

Aquarelle sur carnet Hahnemühle (2022)

Les peintures discrètes

Programme FACTS de résidences et collaborations artistes chercheurs, en partenariat avec le centre de génomique fonctionnelle Bordeaux (CGFB)

Observer la matière de plus en plus finement grâce à des outils de pointe comme la spectrométrie de masse, analyser l'état de conservation des œuvres anciennes, comprendre, tester des modèles, interpréter des résultats. Remonter le temps grâce aux outils et matériaux, sur les traces des grands maîtres comme Giotto tout en oubliant un instant la technique pour être saisi par le regard de Saint François recevant les stigmates. Devant le rétable du Louvre, je suis dans le temps d'un instant enveloppé de son aura d'or et de lumière. Je fais l'expérience de ce lien invisible tel un rayon solaire entre notre animalité et notre spiritualité.

Les campaniles de Giotto, peintures à la détrempe à l'oeuf et aux pigments blanc de plomb, zinc et lithopone. Dorure à la feuillee et gouache sur lin brut. 195 x 140 cm chaque

Plier, archiver, froisser, oublier, retrouver

plusieurs expositions m'amènent à franchir et investir le site des Archives Bordeaux Métropole, une première fois avec l'exposition le Plan de Monsieur Lem imaginée par Jean-Christophe Vigneau et Frédéric Sicard qui avait réuni plusieurs artistes, puis l'opportunité de participer à la residence / recherche Doucement Doucement organisé par grŒp avec comme commissaires Emmanuel Aragon, Marie-Sylvie Barrère et Cyril Lopez,

Aquarelle sur papier plié
exemplaire unique pour le fonds des Archives Bordeaux Métropole 115 x 148 cm déplié - 37 x 28 cm plié, 2017

Diplopies

et autres troubles de la vision

Je remarque des formes mouvantes qui s'agitent comme des bactéries dans la lumière du microscope. Les corps flottants se dédoublent, l'envers l'endroit ne fait plus sens. Les formats se sont retrouvés face à face, corps à corps lors d'une exposition à Bordeaux. Un regard mirroir renvoyant une même image, cette fois-ci elle est pastiche d'elle même. Pourquoi faire plus quand on peut refaire ? Refaire et defaire sans cesse.

Vue d'atelier. Diplopia I. Dyptique, huile sur toile 190x90 cm chaque (2018)
Olympia I
peinture à l'huile sur toile, 90 x 130 cm, 2018

Profondeur, cobalt, turquoise

Deux horizons qui se fondent sur une seule et même ligne. Le cerruleum rejoint l'outre-mer. La mer Egée, des terres insulaires, comme les pépites noyées par un bleu deep, profond, profondeur. Sensation originelle d'immersion, retour a la source, matrice originelle. Plonger et redevenir enfant ,enfin.
Un autre souvenir mêlé de bleu. La langue de feu turquoise du Lago Argentino qui apparaît au loin tel un mirage, après une nuit dans le Pullman. Le réveil chahuté par les roues qui font défiler la piste poussiéreuse de la pan-americana qui traverse la Patagonie. Le soleil se lève, dans le silence de la solitude. Le ciel se met sur le même plan que la terre. Bleu sur brun. Bleu Magellan.
Ma rencontre avec le bleu de cobalt a changé ma palette. Aujourd'hui j'élabore le tableau « autour » de sa teinte particulière. Je l'assombrît avec de la garance ou de l'alizarine, lui donne des reflets sombres cuivrés avec du bleu de Prusse ou de l'outremer, il glisse vers le turquoise mélangé à du vert anglais ou Véronèse, je l'atténue avec de l'orange de cadmium. Quand je l'utilise pur il surpasse les rouges les plus intenses et accroche l'oeil sans le lâcher.

Images Fantômes

Si les fantômes apparaissent plus aux malades et aux agonisants qu'à la plupart des mortels, explique l'un des personnages des Frères Karamazov de Dostoïevski, ce n'est pas tant qu'ils sont délirants que parce qu'étant à la frontière entre la vie et la mort, ces personnes ont la vision des âmes qui vivent dans l'au-delà. L'artiste capte des images qui le hantent tels des spectres d'un passé qui ne veut pas mourir. Passé, présent, futur ne sont peut-être qu'une seule étoffe qui constitue la matière du rêve cosmique où nous sommes tous plongés. Patrice de Santa Coloma habite plusieurs mondes. Avant de s'installer à Bordeaux, il a vécu en plusieurs endroits du globe, l'Argentine pays de son père, où il est né et où il passe une partie de son enfance, puis Paris avant l'Angleterre où il fait ses études. De la Grèce à la Chine il voyage, traverse les cultures comme les continents. C'est un visuel qui se nourrit de lectures - la littérature de l'imaginaire, l'univers SF, les fictions borgésiennes, notamment le roman à l'inquiétude métaphysique Le tunnel d'Ernesto Sábato, l'inspirent. Plus que la fixation d'un réel que prétend restituer l'œil photographique, ce qui intéresse Patrice de Santa Coloma est la traduction du miroitement des couleurs du sensible. Molles roches proches d'un Henry Moore, entrelacs surréalistes faisant écho à André Masson, sa peinture à travers des formes à la fois abstraites et organiques et un chromatisme mêlant l'onirique au végétal exprime cette vibration du singulier malgré l'éternel retour des saisons et la banalité du quotidien. Dans la série Diplopies, composées de diptyques, le peintre recopie son propre tableau, dans l'apparente répétition c'est l'infinie variation d'un même thème qui change au prisme d'un moi en perpétuelle évolution.

Qu'il utilise l'huile, le fusain, le pastel, ou des supports aussi divers que des cantines en céramique avec dessins à l'engobe (Cada día), son geste est d'un lyrisme silencieux. La touche chez Patrice de Santa Coloma devient trace discrète, comme un pas dans la neige, un froissement d'aile, une muette coulure.

L'ego se fond dans le décor. Et Patrice de Santa Coloma d'assumer le décoratif comme un Vuillard ou un Maurice Denis, ainsi de Je perds le nord une série à la délicatesse japonisante. Un tout récent tableau peint à la tempera revisite, entre figuration et abstraction, le Saint François d'Assise recevant les stigmates de Giotto. Seules demeurent les auréoles du saint et du Christ et les rayons représentant la force spirituelle qui marquent les mains, les pieds et le flanc du Poverello. Plus de visages ni quasi plus de corps, ils n'ont pas disparu, mais tous deux sont enveloppés par une aura de lumière. Pour reprendre une image néo-platonicienne, ce n'est plus l'âme qui est dans le corps mais l'inverse. Les images fantômes de Patrice de Santa Coloma débordent la représentation même.

Sean Rose

Polyptycos 2016-2018

En 2016 j'entreprends une série de 16 tableaux que j'imagine déployés dans l'espace d'exposition sur une surface de 2m sur 9m. Une matrice de départ m'a servi à décliner des motifs en provenance de détails pour construire une série par le fragment où certaines zones d'intérêt sont extraites puis agrandies sur des formats de toile presque carrés (110 x 105 cm). Avec comme seule volonté d'épuiser les motifs par la répétition et atteindre un seuil de lassitude. La série s'achève par une évolution de la palette vers des couleurs de plus en plus brillantes et éclatantes ainsi que des formes épurées qui contrastent avec les fonds. La série m'a permis d'expérimenter une méthode de travail que je déploie dans des toiles de plus grands formats : les Telas Sueltas.

Polyptique 15 & 16 vue d'atelier
derniers éléments de la série, peinture à l'huile sur toile
120 x 110 cm, 2018
Biomorphismes 2022, exposition au 14 rue Leytère Bordeaux

Biomorphismes par Corinne Szabo

« Je me laisse mener par l'œuvre en train de naître, je lui fais confiance, je ne réfléchis pas. » Jean Arp

Au 14 rue Leyteire, une grande huile sur toile du nom de Morphismes I recouvre presque entièrement le mur blanc d'un paysage de formes et de couleurs dont la géométrie et la figuration illusoires sont au service d'une totalité biomorphique et gestative. Dépourvues de connotations naturelles et naturalistes, les figures colorées du peintre Patrice de Santa Coloma chorégraphient ensemble ce qui pourrait se rapprocher de la vie.

Explications : construit sur le principe de la « dissonance » 1 , le tableau organise, à l'échelle monumentale (217 x 275 cm), la convergence, et peut-être la collision, de grands blocs de couleur orange, bleu, jaune et vert, tels des « continents » (Kandinsky) qui cohabitent en tremblant. A leur point de rencontre, de grands cernes noirs, jaunes ou marron, qui ont pu y être intégrés pour les stabiliser, expriment une tension fébrile et accentuent l'impression de flottement des blocs en traçant une ligne de force qui se resserre ou qui se liquéfie autour d'eux. Ces contours, qui impulsent un rythme à la toile, créent une ponctuation entre les formes planes et les formes pleines et opaques, entre la fluidité du fond brossé et transparent et les orientations horizontales et verticales, entre les couleurs primaires et les couleurs secondaires. Basée en effet sur un jeu d'oppositions structurales et sur l'organisation des complémentaires en couples d'opposition, la peinture agit sur les modifications de l'espace apparent, génère des impressions de mouvement et de vibration, crée une « simultanéité » 2 qui fait du tableau un organisme vivant qui évolue dans l'espace et la durée. Telle vibration d'un orangé placé dans la composition à côté d'un bleu, telle lumière d'un violet-rosé situé près d'un jaune fluide, telle interaction d'un vert d'eau prisonnier d'une trame brune, le contraste des couleurs complémentaires crée un effet maximum de déséquilibre compositionnel et temporel. La grande peinture est ainsi dominée par la recherche d'un équilibre apparemment instable entre les figures employées tout autant que dans les rapports colorés qui s'instaurent entre elles : au bleu mystique et froid s'opposent le jaune délavé, le vert paisible, les différents silences des blancs et des noirs, la passion de l'orange.

Mais ce n'est pas tout. Patrice de Santa Coloma exploite un langage artistique formel particulier qui joue sur l'arabesque - figure emblématique de la corrélation entre forme et processus de croissance -, sur ses évolutions et sur son mouvement interne. Morphologiquement, ces blocs paraissent tous issus d'une même matrice et saisis à différents stades de leur évolution. Suivant les acquis de la théorie de l'évolution et de la biologie cellulaire, l'artiste se connecte à tout ce qui relève de l'origine de la vie : les cellules d'un organisme vues à travers un microscope, les organismes primordiaux telle l'amibe, les formes de la reproduction comme les gamètes. La croissance, la déformation, la métamorphose, l'engendrement, autant de processus qui régissent le vivant et achèvent de qualifier le biomorphisme, non seulement par ses formes caractéristiques 3 , mais également par leurs modes de mise en réseau.

On comprend mieux dès lors l'exaltation des carnets, confrontés au champ considérable de l'exploration de toutes les potentialités plastiques de la forme et de la couleur et du désir de coucher sur papier toutes ces nouvelles expérimentations. La mise en œuvre du signe sémiotique ne se fait que dans un réseau commun de figures libres et dans la mise en évidence de leurs rapports internes : « une disposition orchestrée se déroulant comme des phrases en couleur » (Robert Delaunay). Le titre de la série Tuelas Sueltas, que l'on pourrait traduire par « toile libre », énonce que cette peinture n'est pas intellectuelle mais émotionnelle : il ne faut pas chercher à comprendre ou à interpréter les signes, il faut ressentir l'émotion que ces signes véhiculent dans une peinture libérée de la charge de représenter. Devenue le vecteur d'une sorte de chromothérapie, la peinture est une excitation oculaire et une invitation au plaisir rétinien.

Corinne Szabo, Janvier 2022

Notes
[1] Le terme est emprunté à l'univers musical d'Arnold Schönberg.
[2] Le mot a été employé par Apollinaire en 1913 au Salon des Indépendants à propos d'une toile de Robert Delaunay, l'Équipe de Cardiff : « se développant dans le temps et se percevant simultanément d'un seul coup ».
[3] Ces formes constituent un nouveau répertoire visuel pour les artistes abstraits selon Guitemie Maldonado, Le Cercle et l'amibe : le biomorphisme dans l'art des années 1930, Paris, 2006

Carnets Depuis 2009

Les carnets constituent le cœur de ma pratique. Espace d'expérimentations en tous genre, recherche de teintes ou nuances, notes graphiques, répétition de motifs. L'unité du carnet m'intéresse, que ce soit en double page ou par des jeux de transparence sur le papier fin vergé résistant aux lavis, gouaches et encres. Le carnet épais m'accompagne sur une période d'un an, un éphéméride, sa temporalité, sa chronologie me donne un cadre dans la pratique quotidienne du travail de recherche. J'y puise des formes, embryons de tableaux en devenir. En les feuilletants je crée également des enchaînements de formes et couleurs à la manière d'un folioscope. Ces séquences mettent les choses en mouvement et me poussent vers la toile pour développer des fragments furtifs qui seront extraits, ressassés puis enfin restitués sur la toile.

Carnet de dessins sur papier vergé ivoire et blanc Fabriano (2020)
16 x 21 cm