fr es en

L’attente réversible revient à quelqu’un d’autre - Catherine Pomparat

textes 2016

"Je voudrais faire un petit tableau aussi un seul et faire un échange d'une pièce "réversible" (sur du bois)  avec toi d'un coté et moi de l'autre. Mettre une de tes têtes sous la tente et un truc dans ton atelier qui sera éclairé et le mien plus sombre. Je veux jouer à la fois la proximité dans nos isolements respectifs, ta bienveillance et le partage. Et ce lien entre nous artistes qui nous fait avancer contre vents et marées".
Patrice de Santa Coloma e.mail à Christophe Massé 

 

 

L’attente réversible revient à quelqu’un d’autre

 

 

Mamée reste longtemps triste et turlupinée par cette irréversible impossibilité pour une chaise de servir d’assise à deux personnalités
[aux yeux d’un enfant pour qui le mot « personnalité » est matérialisé par des formes vivantes et affectivement incarnées.]

Que représente cette chaise pour l’enfant ? Le temps de la séparation d’avec le père sans doute ? On sait bien que la représentation du temps chez le petit enfant ne se laisse en partie approcher qu’à partir d’un espace qualifié : par exemple, la chaise de papa.

Ainsi, ce qu’il convient d’appeler "temps" est, ici, un petit meuble à quatre pieds, à surface horizontale avec dossier et sans bras servant irréversiblement d’assise au père absent.

Le petit garçon ne peut pas agir sur le temps de la séparation mais, il trouve un appui tangible consolateur sur la chaise qui se souvient de son papa-assis-là.

Les états de tension du corps de l’enfant s'adoucissent.

L’évidement relance le corps de la grand-mère.

Il y a quelques jours, elle aussi elle pensait à lui.

Un ami artiste montrait Sous La Tente des pièces à sa façon. Elle n’avait pas pu agir sur l’exiguïté du lieu d’exposition. Pourtant la force intimidante de la production s’était laissée prendre dans l’étendue des formes. Les murs repoussés par l’action des matières vivantes augmentaient la surface d’exposition :

« Moi aussi je pense à vous ». Le titre opératoire était dans l’attente d’une réversion. Deux ateliers séparés par une fenêtre vitrée faisaient tourner sans arrêt un petit tableau à deux faces.

La littérature –qui fait si bien jouer les agents doubles– donnait aux objets de l’artiste exposé des instruments pour resserrer leur majestueuse matière dans le format de la petite salle.

D’imposants panneaux de terre prenaient appui sur la fragilité d’une vitre.  Un soleil noir et brisé rayonnait au-delà du panneau de verre. 
L’horizon d’attente espéré s’ouvrait sur le petit atelier à côté.

Posés sur un maigre mobilier, plus ou moins disposés mais toujours bienveillants et accueillants à l’égard des entrants, des cahiers, des feuillets, des rangées de livres, des dessins, des têtes colorées dans-un-certain-ordre-assemblées, des planches, des pages, des peintures, des petits morceaux de papier, des tableautins de couleur délicate, vive et vivante, des courriers, des articles de journaux, une ribambelle d’inscriptions très belles, des séries, des catégories de débris, de supports cartonnés, de matériaux divers entassés, assemblés, collectionnés, non identifiés, prospectus découpés, dépliants décomposés et petites têtes animées de matière peinte… toutes ces choses accumulées exigeaient la puissance de la longue durée.

D’un côté, l’écriture de l’installation d’une journée, 
de l’autre, l’œuvre en cours de la forme de vie d’un artiste. 
Silence. 
Un ange passe la cloison de verre. 

Le jeu de la cloison de verre unit Castel  1 et la grand-mère.

La peinture a perdu sa substance. 
Les brisures du Soleil Noir s’éparpillent 
sur des plateaux de porcelaine bleue.

La fiction de fabrication reprend ses droits. 
Ce n’est pas une ressemblance au récit faisant allégeance,
c’est une façon de représenter qui n’appartient pas au monde concret.

Angelus Novus est passé ; un lièvre est levé : L’Absent n’est pas du côté où la grand-mère le croyait.

Ainsi, Sous La Tente, ce qu’il convient d’appeler "temps" relève d’une attente Chaque jour levée. 
Le manque d’outil pour mesurer le temps d’aimer son père fait faire une exposition.

Quatre pieds vont et viennent à la surface de l’espace claquemuré. Sans bras pour le serrer, l’artiste irréversiblement esseulé passe au-delà du mur vitré. Il montre ses Ouvertures et resserre ses façons de faire en invitant les visiteurs à entrer de chaque côté :

« Yo también pienso en usted ». Il trouve un appui tangible consolateur sur le sol tangué d’une langue à une autre dans le va-et-vient de paroles permutées.

J’entends à l’échelle d’un l’enfant
l’artiste parler en aparté 
à l’intérieur de l’atelier de l’autre.
Je vois le vide interstitiel 
qui déjoue la cloison.

J’écoute les mots silencieux 
qui brisent 
– sans bruit déjà– 
la vitre du temps 
avant après et maintenant.

 


Catherine Pomparat - mai 2016



 

Notes

[1] Juan Pablo Castel : personnage de El Túnel, roman de Ernesto Sábato.